Chapitre 10
Sola gratia : la durée de la grâce
Nous avons examiné la nécessité, la cause, la portée et l’efficacité de la grâce. Nous avons vu que la grâce est nécessaire, inconditionnelle, définie et irrésistible. Il nous reste encore une autre chose à voir pour finir d’exposer le sola gratia : la durée de la grâce. Vous ne serez pas surpris d’entendre que les réformés croient que la grâce est éternelle. Un salut qui découle du monergisme divin et qui est complètement immérité, gratuit et efficace ne peut être temporaire...
1. La durée de la grâce
En 1545 s’ouvrit à Trente, en Italie, l’un des plus importants conciles catholiques. Ce concile fut la réponse de l’Église catholique à la Réforme protestante. On peut parler du concile de Trente comme d’une contre-réforme. Les solas de la Réforme furent soigneusement niés dans les décrets de ce concile. On y rejeta la doctrine de la pérennité de la grâce que les réformateurs enseignaient. Nous lisons : « Il est à propos aussi de bien établir que la grâce de la justification que l'on a reçue se perd non seulement par le crime de l'infidélité, par lequel la foi se perd aussi; mais même par tout autre péché mortel » (Concile de Trente, session VI, chapitre XV).
Quelques décennies plus tard, Jacques Arminius introduisit du côté protestant cette même doctrine de la perte du salut. L’arminianisme enseigne que l’homme peut être sauvé temporairement, puis perdre son salut s’il abandonne la foi. Cet enseignement va de pair avec un salut qui est causé par le libre arbitre de l’homme. Si l’homme peut amorcer son salut, il peut aussi le désamorcer sinon il n’a pas entièrement un libre arbitre. Cet enseignement se propagea dans beaucoup d’Églises et de courants chez les protestants.
Notre opinion sur la durée du salut dépend de notre conception de la nature du salut. Si le salut est inconditionnel et immérité comment pourrions-nous en déchoir? Mais dès qu’on envisage le salut comme quelque chose qui peut se perdre, on envisage un salut conditionnel. Ceux qui croient à la perte du salut ne pensent pas qu’il y a quelque chose de défectueux avec le salut, mais que l’homme est en quelque sorte le maillon faible de la chaîne du salut. Rappelons qu’aucune chaîne n’est plus forte que son maillon le plus faible. Si l’homme est un des maillons de la chaîne du salut, les autres maillons, malgré leur solidité, ne garantissent pas le fonctionnement du salut; puisque l’œuvre de Dieu dépend de l’homme. Par contre, si le salut est inconditionnel, l’homme ne fait pas partie des maillons qui garantissent le fonctionnement du salut; celui-ci ne peut donc être brisé.
Les réformés croient que le salut est entièrement l’œuvre de Dieu et qu’il vient avec la persévérance finale. L’œuvre de Christ pour les élus comprend l’expiation des péchés, mais aussi l’acquisition de la foi, de la sanctification et de la persévérance jusqu’à la fin. Les réformés ne conçoivent pas le salut comme quelque chose que les croyants conservent, mais plutôt comme Dieu qui conserve les croyants dans le salut de façon à ce qu’ils ne puissent finalement déchoir. Nous ne nous gardons pas nous-mêmes, nous sommes gardés par Dieu. Nous sommes gardés des invasions et des évasions.
3 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés, pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, 4 pour un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir, lequel vous est réservé dans les cieux, 5 à vous qui, par la puissance de Dieu, êtes gardés par la foi pour le salut prêt à être révélé dans les derniers temps! (1 P 1.3-5)
Certains chrétiens pensent qu’à leur conversion, ils n’ont été pardonnés que pour leurs péchés passés. Ils n’ont aucune certitude quant à leurs péchés futurs et risquent la condamnation à tout moment s’ils meurent avant d’avoir eu le temps de se repentir... L’Écriture enseigne que Christ a racheté nos transgressions avant même que nous ne les commettions. Christ est mort pour les péchés que nous avons commis avant de le connaître et après l’avoir connu. Nous sommes définitivement pardonnés et non pardonnés de manière intermittente. Nous devons concevoir le salut comme quelque chose de définitivement achevé au Calvaire et non comme une œuvre que nous sommes en train de parfaire. Nous travaillons à notre salut, mais nous ne le générons pas, il nous est imputé par grâce et ce salut ne peut prendre fin.
Plusieurs passages de l’Écriture nous donnent droit à cette assurance. « Or, la volonté de celui qui m'a envoyé, c'est que je ne perde rien de tout ce qu’il m'a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. » (Jn 6.39) Le salut ne dépend pas de notre capacité à s’accrocher jusqu’à la fin, mais de la capacité de Christ à remplir la mission que le Père lui a confiée. Croyez-vous qu’il réussira? En tous les cas, Jésus semble très confiant, lui : « Mes brebis entendent ma voix; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle; et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père. » (Jn 10.27-29).
Paul y va d’une déduction logique pour fonder solidement l’assurance des croyants. Il écrit : « Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie. » (Rm 5.10). Selon l’apôtre Paul, il est impossible de déchoir de la grâce car nous avons obtenu cette grâce alors que nous étions sous la colère divine; maintenant que nous sommes sous la grâce divine comment pourrions-nous obtenir la colère divine? Comment pourrions-nous être suffisamment indignes d’une grâce pour laquelle nous n’avons jamais été dignes? Quel péché amplement grave pourrait nous faire perdre le salut? Quel péché est plus grand que la grâce de Dieu? L’adultère? Le meurtre? Ces deux péchés combinés? Parlez-en au roi David qui, après avoir fait mourir l’homme duquel il avait pris la femme, s’exclame : « Heureux celui à qui la transgression est remise, À qui le péché est pardonné! Heureux l'homme à qui l'Éternel n'impute pas d'iniquité. » (Ps 32.1-2). David était un beau salaud, sauvé par grâce; comme nous! Une chose est certaine : « Il n'y a maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. » (Rm 8.1).
Quelques syllogismes nous sont permis. « Dieu ne se repent pas de ses dons et de son appel. » (Rm 11.29) Dieu nous a fait don du salut et nous a appelés à la vie. Dieu ne nous retirera pas son don ni son appel. Christ a « obtenu une rédemption éternelle » (Hé 9.12). Nous avons obtenu la rédemption en Jésus-Christ. Notre rédemption est éternelle. La vie éternelle dure éternellement. Nous avons la vie éternelle. Nous vivrons éternellement. « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. »
(Mt 10.22) Nous sommes sauvés. Nous persévérerons jusqu’à la fin.
2. L’apostasie
Cependant l’Écriture n’enseigne-t-elle pas que si quelqu’un renie Jésus, Jésus le reniera pareillement (Mt 10.33)? Le Nouveau Testament n’enseigne-t-il pas que, si quelqu’un abandonne la foi il sera perdu (Hé 6.4-8 ; 10.26-27 ; 2 P 2.21)? En effet, l’Écriture enseigne que l’apostasie mène à la perdition; si quelqu’un renie le Christ, Christ le reniera et, si quelqu’un abandonne la foi il sera perdu. Par contre, je ne crois pas que l’Écriture enseigne la perte du salut. L’arminianisme conçoit l’apostasie comme étant la perte du salut des croyants, tandis que l’Écriture présente l’apostasie comme étant la dérive des faux croyants.
Voici quelques versets essentiels pour bien comprendre l’apostasie : « Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres; car s'ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous, mais cela est arrivé afin qu'il fût manifeste que tous ne sont pas des nôtres. » (1 Jn 2.19). Jean déclare que certains vont abandonner la foi, mais il dit que ceux-là n’étaient pas des croyants régénérés, sinon ils n’auraient pas abandonné. Il conclut que cela rend évident le fait que l’Église visible ne correspond pas exactement à l’Église invisible. Jésus enseigne la même chose à la fin du Sermon sur la montagne :
21 Ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur! n'entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. 22 Plusieurs me diront en ce jour-là: Seigneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé par ton nom? n'avons-nous pas chassé des démons par ton nom? et n'avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom? 23 Alors je leur dirai ouvertement: Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l'iniquité. (Mt 7.21-23)
Jésus ne dit pas : « Je vous ai connu, mais je ne vous connais plus. » Il dit : « Je ne vous ai jamais connu. » Il n’est pas question de gens qui ont eu le salut puis l’ont perdu, mais de gens qui n’ont jamais eu le salut malgré leur profession de foi. Arminius disait que la seule différence entre la foi à salut et la foi des apostats était la durée. C’est pourquoi il concluait qu’un chrétien peut perdre son salut en apostasiant. Voici la réponse des théologiens réformés réunis à Dordrecht en 1618-19 pour examiner l’arminianisme :
La doctrine orthodoxe ayant été exposée, le Synode rejette les erreurs de ceux qui enseignent qu’il n’y a entre la foi temporelle et celle qui justifie et sauve, aucune autre différence que celle de la durée.
Car le Christ lui-même, dans Matthieu 13.20s. et dans Luc 8.13s., établit manifestement une triple différence entre ceux qui ne croient que pour un temps et les véritables fidèles, quand il dit que les premiers reçoivent la semence dans les endroits pierreux, et les seconds dans la bonne terre, ou avec un cœur bon; que ceux- ci n’ont point de racine, mais ceux-là de fermes racines; que ceux-ci ne portent point de fruit, tandis que ceux-là produisent constamment leurs fruits en diverses quantités. (Canon de Dordrecht, V, Rejet des erreurs, VII)
Il existe une telle chose qu’une fausse foi, une foi morte (Jc 2.17). Cette foi est différente de la foi à salut et l’une des différences fondamentales, c’est qu’elle est temporaire. L’apostasie n’est pas un éloignement temporaire du Seigneur, mais un abandon définitif de la vie chrétienne. De vrais chrétiens peuvent tomber dans le péché et pour un temps s’éloigner du Seigneur et de son Église, mais le bon berger ramène chaque brebis qui s’égare.
La persévérance est la condition de l’assurance du salut. Personne ne peut affirmer qu’il est sauvé s’il ne persévère pas, car il est écrit que sans la sanctification « personne ne verra le Seigneur »
(Hé 12.14). Le salut ne se perd pas, mais l’assurance du salut se perd. Nous perdons notre assurance lorsque nous devenons négligents. C’est pourquoi nous devons travailler à notre salut « avec crainte et tremblement » (Ph 2.12-13). Ayons cependant l’assurance que « que celui qui a commencé en vous cette bonne œuvre la rendra parfaite pour le jour de Jésus-Christ. » (Ph 1.6). Lorsque Dieu commence l’œuvre du salut dans la vie d’une personne, il la poursuit jusqu’à la fin. Nous sommes appelés à collaborer avec Dieu en nous soumettant à lui; nous nous endurcirons peut-être par moment et nous nous entêterons dans nos voies, mais nous ne pourrons jamais nous échapper de sa main paternelle. Ceux qui finissent par rejeter la foi chrétienne « n'étaient pas des nôtres ».
Lorsqu’un des ses enfants tombe dans le péché, Dieu ne le « désadopte » pas, mais il le châtie. Ce châtiment consiste à nous retirer notre assurance, à nous donner un sentiment de tristesse et de culpabilité (2 Co 7.10), à nous laisser moissonner les effets de notre péché (Ga 6.7). La correction du Seigneur est une preuve de son amour pour nous ramener dans le droit chemin et non un signe avant-coureur d’une répudiation.
5 Et vous avez oublié l'exhortation qui vous est adressée comme à des fils: Mon fils, ne méprise pas le châtiment du Seigneur, Et ne perds pas courage lorsqu'il te reprend; 6 Car le Seigneur châtie celui qu'il aime, Et il frappe de la verge tous ceux qu'il reconnaît pour ses fils. 7 Supportez le châtiment: c'est comme des fils que Dieu vous traite; car quel est le fils qu'un père ne châtie pas? (Hé 12.5-7)
3. La persévérance des saints
Une des raisons principales derrière l’enseignement de la perte du salut, c’est la crainte qu’en enseignant la gratuité et la pérennité du salut les âmes deviendront négligentes. Déjà au temps de l’apôtre Paul, certains considéraient que la doctrine du salut par grâce incitait à la licence. Paul envisage leur raisonnement : « Que dirons-nous donc? Demeurerions-nous dans le péché, afin que la grâce abonde? » (Rm 6.1). Qu’en est-il? Est-ce que la gratuité et la pérennité du salut incitent les croyants à l’insouciance face au péché? Après tout, si une fois sauvé toujours sauvé, pourquoi s’évertuer à faire mourir la chair?
À ce point-ci, il est important de distinguer entre deux expressions, l’expression « une fois sauvé toujours sauvé » et l’expression « la persévérance des saints ». Je préfère de loin la seconde puisqu’elle est plus fidèle à la terminologie biblique. Il est vrai qu’une fois sauvés nous demeurons toujours sauvés, cependant cette expression donne l’impression que notre entrée au ciel se fera magiquement et facilement. Être sauvé pour toujours ne signifie pas qu’on puisse être chrétien tout en restant assis les bras croisés en attendant le retour du Seigneur. Les saints qui sont sauvés pour toujours vont persévérer dans la foi jusqu’à la fin, sinon ils ne sont pas sauvés.
L’Écriture nous rappelle que « c'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. » (Ac 14.22). Le chemin de la vie éternelle n’est pas celui de la facilité et de l’indulgence; c’est pourquoi nous devons questionner l’authenticité de la foi de ceux qui ne veulent pas passer par la porte étroite et le chemin resserré tout en prétendant être chrétiens (Mt 7.13-14). Nous sommes sauvés par la grâce, mais au moyen de la persévérance de la foi. Relisons ce que Pierre nous dit : « à vous qui, par la puissance de Dieu, êtes gardés par la foi ». C’est Dieu qui nous garde, cependant il nous garde par un moyen : la foi. La foi nous est donnée par Dieu, mais c’est nous qui l’exerçons. Nous devons croire et nous devons persévérer jusqu’à la fin pour être sauvés et cela est tout à fait compatible avec un salut entièrement par la grâce de Dieu. C’est pourquoi, sans enseigner un salut par les œuvres, Paul peut dire :
9 Ne savez-vous pas que les injustes n'hériteront point le royaume de Dieu? Ne vous y trompez pas: ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, 10 ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n'hériteront le royaume de Dieu. (1 Co 6.9-10)
Si quelqu’un pratique encore ces péchés, comment peut-il prétendre être chrétien? Il n’est pas question ici de commettre un péché d’idolâtrie ou d’adultère ou d’inconduite, mais de vivre dans ces péchés comme lorsque nous ne connaissions pas Christ.
L’Évangile par grâce ne favorise pas le péché, parce que dans le véritable Évangile il y a une loi. Nous ne sommes pas sauvés par la Loi, mais par l’Évangile, cependant l’Évangile n’est pas sans loi. Tous ceux qui sont sous la Nouvelle Alliance ont la Loi de Dieu écrite sur leur cœur par le Saint-Esprit. C’est pourquoi l’apôtre demande : « Nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore dans le péché? » (Rm 6.2). Si nous sommes vraiment dans la Nouvelle Alliance, notre vie a changé, notre pensée a été renouvelée, notre volonté a été affranchie. Seulement, ce n’est pas nous qui avons produit ce changement, mais Dieu.
Un salut qui se perd et se retrouve à souhait entrainera la licence puisqu’on s’imaginera pouvoir profiter du meilleur des deux mondes en ayant un plein contrôle sur notre destinée. Tandis qu’un salut éternel qui ne s’obtient que par la grâce de Dieu changera efficacement et définitivement notre être. Sa grâce rendra certainement nos cœurs reconnaissants et obéissants autrement nous démontrons que nous ne l’avons jamais reçue. C’est le sens de la parabole du serviteur impitoyable (Mt 18.21-35). C’est également ce que Jésus veut dire en parlant de la femme pécheresse qui fut pardonnée « car elle a beaucoup aimé » (Lc 7.47). C’est aussi ce que l’apôtre déclare par ces mots
« Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur, qu'il soit anathème! » (1 Co 16.22). Lorsque nous recevons la grâce de Dieu, notre cœur est envahi par son amour et par la reconnaissance; nous n’aimons plus le péché; nous aimons Dieu.
Lecture supplémentaire : Lm 3.19-26