Chapitre 2
Sola Scriptura et non solo Scriptura
Nous avons commencé à examiner ce qu’est une Église réformée. Le premier point que nous avons vu est le principe sola Scriptura. Nous avons dit qu’une Église qui adhère véritablement à ce principe doit être centrée sur la Parole de Dieu. Puis nous avons considéré trois raisons pour la centralité de la Parole :
1. La nécessité des Écritures.
2. L’autorité des Écritures.
3. La suffisance des Écritures.
Nous allons voir ce que ne signifie pas sola Scriptura. Le théologien réformé Keith Mathison écrit :
La doctrine du sola Scriptura a été attaquée pendant des siècles. Plusieurs protestants savent que l’Église catholique romaine a rejeté cette doctrine. Cependant, la plupart des protestants ignorent qu’une grande partie des évangéliques a aussi rejeté la doctrine sola Scriptura en altérant complètement son sens1.
Aujourd’hui, je vais expliquer deux points essentiels à la foi réformée. D’abord le véritable sens de sola Scriptura. Pour beaucoup de croyants, sola Scriptura est devenu solo Scriptura; c'est-à-dire l’Écriture en solo. Ceci est une déviance historique qui n’a rien à voir avec le sola Scriptura de la Réforme et qui n’a rien à voir avec l’enseignement de la Bible sur elle-même.
Sola Scriptura et non solo Scriptura
Il y a quelques années je me trouvais dans une autre Église. Celui qui présidait le culte déclara la chose suivante : « Un texte de la Bible c’est comme un diamant, chacun peut regarder le même texte sous un angle différent et tous les angles reflètent la lumière. Ainsi, je peux comprendre un texte d’une manière et un autre frère a une autre compréhension, mais nous sommes tous éclairés par le Seigneur. » Manifestement, ce frère ne réalisait pas l’énormité de cette affirmation. Le relativisme qu’on retrouve dans le monde, où chacun a sa vérité, a fait son chemin jusque dans l’Église.
Solo Scriptura signifie que chacun lit la Bible pour soi. L’Écriture n’a plus de sens objectif et communautaire, mais un sens subjectif et individuel. Les exégètes, commentateurs et prédicateurs n’ont plus d’autorité comme interprètes du texte sacré, car le Seigneur « montre » à chacun individuellement ce qu’il veut lui dire. On m’a raconté cet incident avec Donald Carson. Cet exégète du Nouveau Testament est reconnu comme une sommité dans le monde. Étant natif de Montréal, il parle bien français; il fut invité par SEMBEQ pour donner un cours. Dans le cours se trouvait un frère d’une Église baptiste. Lors d’une pause, ce frère alla voir M. Carson pour lui expliquer sa divergence de vues avec son interprétation d’un texte qu’il avait commenté durant le cours. Le frère en question lui dit : « Le Seigneur m’a montré ce que ce texte signifie ». Sagement, le Dr Carson lui répondit :
« Mais à moi aussi le Seigneur a montré ce que ce texte signifie. » Au lieu de remettre en question son interprétation et surtout sa méthode d’interprétation, ce frère conclut : « Humm, il semble que le Seigneur a un message différent pour chacun de nous »
Le solo Scriptura vient d’une mauvaise compréhension de la direction de Dieu dans nos vies : l’idée selon laquelle Dieu nous guide selon un plan individuel qu’il nous révèle progressivement et de manière mystérieuse tout au long de notre vie. Cette idée vient d’une tradition et non de l’Écriture sainte, et on tente d’y faire correspondre des textes de ce genre :
« Quand le consolateur sera venu, l'Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité. » (Jn 16.13). Ou encore : « Pour vous, l'onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne; mais comme son onction vous enseigne toutes choses... » (1 Jn 2.27).
Ces textes n’enseignent pas l’idée d’une direction directe du Saint-Esprit. Le premier texte est une promesse que Christ fit à ses apôtres afin qu’ils puissent être ses représentants officiels pour fonder l’Église (Ep 2.20 ; Mt 16.18), établir la doctrine nécessaire au salut (Mt 16.19 ; Jn 20.22-23) et rédiger le Nouveau Testament (Phm 1.8 ; 1 Co 7.10-12 ; 1 Th 2.13). Sans l’action surnaturelle du Saint-Esprit auprès des apôtres, une telle autorité aurait été catastrophique entre les mains de pécheurs. Le deuxième texte déclare que nous connaissons que la Parole apostolique est la vérité par le témoignage du Saint-Esprit en nous. L’Esprit nous conduit à demeurer dans la Parole qu’Il illumine en nous. L’illumination de la vérité est différente de la révélation de la vérité : la révélation consiste à révéler ce qui ne l’était pas, tandis que l’illumination consiste à éclairer ce qui est déjà révélé. De plus, 1 Jean 2.27 ne nie pas la nécessité pour l’Église d’être enseignée par des ministres de la Parole ainsi qu’elle le déclare ailleurs (Ep 4.11-15).
Concernant l’interprétation biblique, il y a un texte que nous devons absolument considérer, il s’agit de 2 Pierre 1.20-21 : « sachant tout d'abord vous-mêmes qu'aucune prophétie de l'Écriture ne peut être un objet d'interprétation particulière, car ce n'est pas par une volonté d'homme qu'une prophétie a jamais été apportée, mais c'est poussés par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu. » Voici d’autres traductions du verset 20:
TOB: Avant tout, sachez-le bien: aucune prophétie de l'Écriture n'est affaire d'interprétation privée.
Jérusalem: Avant tout, sachez-le : aucune prophétie d'Écriture n'est objet d'explication personnelle
Français courant : Avant tout, sachez bien ceci: personne ne peut interpréter de lui- même une prophétie de l'Écriture.
De toute évidence, la Bible ne cautionne pas la tendance solo Scriptura. L’Écriture fut révélée de Dieu, ce ne sont donc pas les prophètes ou l’Église qui donnent le sens à la Parole de Dieu, mais celle- ci a un sens en elle-même. Le sens d’un texte est donc objectif et ce sens est le même pour tous
même si l’application peut différer d’un endroit à l’autre. Pierre déclare que le sens d’un texte est objectif lorsqu’il écrit : « les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens [des lettres de Paul], comme celui des autres Écritures » (2 P 3.16). Pour tordre le sens, il faut d’abord qu’il y ait un sens. Notre tâche est de découvrir ce sens et non de l’inventer.
La plupart des erreurs théologiques viennent du fait qu’on ne laisse pas l’Écriture s’interpréter elle- même. Ces erreurs surviennent lorsque nous laissons notre imagination, nos présupposés ou nos lunettes théologiques déterminer le sens d’un passage et ainsi nous emprisonnons souvent le sens véritable d’un texte en l’associant à une idée préconçue. Ainsi, nous tirons des conclusions d’un texte alors que nous avons prédéfini son interprétation possibles. Voici à quoi ressemble cette façon de faire. Un homme marchait sur le trottoir, en marchant il rencontra un ami qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Salut, comment ça va? – lui demanda-t-il. Ça va merveilleusement bien, surtout depuis que j’ai commencé à prendre des cours de logique – lui répondit son ami. Des cours de logique? – rétorqua l’homme intrigué. Content de pouvoir exposer sa logique, l’ami répondit : Je vais te donner un exemple... As-tu un aquarium chez toi? Oui – dit-il. Si tu as un aquarium c’est parce que tu aimes l’eau et le monde aquatique. Y a-t-il des poissons dans ton aquarium? Oui, bien sûr – affirma l’homme. Donc si tu as des poissons que tu nourris quotidiennement c’est que tu aimes les espèces vivantes, tu aimes la vie. As-tu une variété de poissons? Oui, j’ai des poissons tropicaux bleu, jaune et noir. C’est donc parce que tu aimes la diversité, – continua son ami. Alors si tu aimes la diversité, logiquement tu n’es pas raciste. Wow – répondit l’homme stupéfait, c’est logique! Dis-moi où je peux m’inscrire à ce cours ça m’intéresse. L’homme continua son chemin heureux et absorbé par la logique irréductible qu’on venait de lui démontrer. Un autre ami l’arrêta pour le saluer et prendre de ses nouvelles. L’homme, tout fier, déclara qu’il s’apprêtait à prendre des cours de logique. Des cours de logique? – demanda son autre ami. Je vais te donner un exemple – lui dit-il. As-tu un aquarium chez toi? Non – répondit son ami. Eh bien, tu es un raciste!
Comme cet homme, nous ne faisons pas toujours les bonnes associations en interprétant la Bible. Voici un exemple que j’ai vu très souvent. Vous connaissez le verset où Paul dit : « la lettre tue, mais l'Esprit vivifie »? L’association que l’on fait souvent est que l’enseignement sec de la Bible tue, mais les communications compatissantes avec l’onction du Saint-Esprit restaurent... Cette interprétation n’a cependant rien à voir avec ce que Paul dit, il s’agit d’une « interprétation particulière ». Dans ce passage Paul compare l’Ancienne Alliance et la Nouvelle Alliance; l’Ancienne Alliance (la lettre) n’avait pas pour but de donner la vie éternelle, mais de condamner le péché, tandis que la Nouvelle Alliance (l’Esprit) donne la vie. Ainsi, « la lettre tue, mais l'Esprit vivifie », mais pour arriver à comprendre ce verset, il faut laisser le reste du passage et les passages parallèles faire l’interprétation pour nous. Ceci est « la règle infaillible pour l’interprétation de l’Écriture ».
Une dernière chose avant de passer à notre prochain point. Une Église réformée est une Église confessionnelle. Être confessionnel signifie que nous adhérons à une confession de foi. La vérité s’exprime dans des mots et se résume par des propositions compréhensibles. Être confessionnel signifie que nous avons une compréhension commune de la vérité puisque la vérité a été destinée à être comprise ecclésialement : « l'Église du Dieu vivant [est] la colonne et l'appui de la vérité » (1 Tm 3.15). C’est par l’Église que Dieu a destiné la vérité à être comprise, affirmée et élevée et ce, de manière corporative. L’interprétation de l’Église n’est pas infaillible, mais elle est beaucoup plus sûre que l’interprétation privée. Être réformé signifie se soumettre aux vérités bibliques que l’Église chrétienne a affirmées et élevées au cours de son histoire. Ces vérités ne sont pas seulement des balises générales, mais sont l’essence même de la foi. L’unité de la foi est une unité confessionnelle. L’histoire confirme que plus les croyants penchent vers le solo Scriptura, plus ils se divisent.
Lecture supplémentaire 2 P 1.19-21
1 Keith A. Mathison, « Sola Scriptura », p. 51.