Deuxième Partie Confession d'Augsbourg
Dans nos églises on administre aux laïques la Sainte Cène sous les deux espèces, pour la bonne raison que tel est clairement l'ordre et le commandement de Christ, Matth. 26, 27 : « Buvez-en tous ». Là, le Christ, parlant de la coupe, ordonne en termes clairs et précis que tous doivent en boire.
Et pour que personne ne puisse contester ces paroles ni leur donner une fausse interprétation en prétendant que ce commandement ne s'applique qu'aux prêtres, saint Paul (1 Cor. 11, 26) indique que toute l'assemblée de l'Eglise de Corinthe communiait sous les deux espèces. Et cet usage a longtemps persisté dans l'Eglise, comme on peut le prouver par l'histoire et par les écrits des Pères. Cyprien rapporte en plusieurs endroits de ses écrits, que de son temps la coupe était administrée aux laïques. De même, saint Jérôme dit que les prêtres qui administrent le Sacrement distribuent au peuple le sang de Christ. Le Pape Gélase lui-même ordonne qu'on ne doit pas « diviser » le Sacrement (Distinct. 2 De Consecr., Chap. Comperimits). On ne trouve nulle part aucun Canon qui prescrive de recevoir le Sacrement sous une seule espèce. Il est même impossible de savoir au juste quand, et par qui cette coutume de la communion sous une seule espèce a été introduite, sauf que le cardinal Cusanus fait mention de l'époque où cet usage a été officiellement approuvé. Or il est clair qu'une telle coutume, introduite à l'encontre du commandement de Dieu et même des anciens Canons, n'a rien pour la justifier. Si donc des chrétiens ont demandé à recevoir le Saint Sacrement d'une façon conforme à l'institution de Jésus-Christ, il n'était pas convenable d'accabler leur conscience et de les contraindre à agir contrairement à l'ordonnance du Seigneur Jésus-Christ. Et comme la mutilation du Sacrement est en flagrante contradiction avec l'institution de Christ, nous avons aussi supprimé la coutume, qui était en usage jusqu'ici, de porter le Sacrement en procession.
Partout dans le monde, chez les grands comme chez les humbles, une immense plainte s'est élevée depuis longtemps, à cause de la grande immoralité et du dérèglement des mœurs parmi les prêtres, incapables de se contenir dans les bornes de la chasteté. Et vraiment, on avait atteint le dernier degré de ces vices abominables. Pour éviter tant de scandales odieux, l'adultère et la fornication, quelques-uns de nos prêtres sont entrés dans l'état du mariage. Ils allèguent pour raison de leur décision, qu'ils y ont été poussés et contraints par la grande détresse de leur conscience, parce que l'Ecriture Sainte enseigne clairement, que l'état du mariage a été institué par Dieu pour éviter l'impudicité. Comme le dit saint Paul 1 Cor. 7 : « Pour éviter l'impudicité, que chacun ait sa propre femme ». De même : « II vaut mieux se marier que de brûler ». Et lorsque Jésus-Christ dit, Matth. 19, 11 : « Tous ne sont pas capables d'accepter cette parole », il indique par-là, lui qui savait bien ce qui est dans l'homme, que peu d'hommes possèdent le don de la continence ; car Dieu, en créant les hommes, « les a créés homme et femme » (Gen. 1). Or l'expérience démontre trop clairement qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme de modifier ou d'améliorer de sa propre initiative, ou par un vœu, la création de la majesté divine, à moins qu'il n'ait reçu un don et une grâce spéciale de Dieu. Car tout le monde sait quel genre de vie chaste et honnête, quel genre de conduite chrétienne et honorable s'en est suivi chez beaucoup ! On sait quels remords effroyables et quels tourments de conscience ont accablé beaucoup d'entre eux à l'heure de leur trépas, - et beaucoup l'ont avoué eux-mêmes. Puisque donc ni la Parole ni le commandement de Dieu ne peuvent être modifiés par aucun vœu ni par aucune loi humaine : c'est donc pour cette raison, et beaucoup d'autres encore, que nos prêtres et autres membres du clergé ont pris femme.
On peut d'ailleurs prouver par l'histoire et par les écrits des Pères, qu'il était autrefois d'usage dans l'Eglise chrétienne que les prêtres et les diacres se mariaient. Car saint Paul dit, i Tim. 3 : « II faut que l'évêque soit irréprochable, mari d'une seule femme ». Ce n'est d'ailleurs que depuis 400 ans seulement qu'en Allemagne les prêtres furent contraints au célibat et forcés de renoncer au mariage. A quoi ils s'opposèrent tous si sérieusement et avec une telle véhémence qu'un archevêque de Mayence, qui avait publié ce nouvel édit du Pape, fut sur le point d'être mis à mort dans la bagarre, au cours d'un soulèvement du clergé tout entier. Cette interdiction du mariage des prêtres fut appliquée dès le début avec une telle précipitation et avec tant de maladresse, que le Pape ne se contenta pas, en ce temps, de prohiber pour l'avenir le mariage des prêtres, mais qu'il rompit même le mariage de ceux qui y avaient vécu depuis longtemps. Cette dernière mesure n'est pas seulement une violation de toutes les lois divines, naturelles et civiles, mais elle est même en flagrante contradiction avec les Canons décrétés par les Papes eux-mêmes, et avec les décisions des plus illustres Conciles.
Un grand nombre d'hommes éminents, pieux et sensés, ont souvent fait entendre des propos et des opinions à cet effet : qu'un pareil célibat forcé et une telle interdiction du mariage - état que Dieu a institué lui-même et qu'il a laissé ouvert à tous - n'ont jamais produit rien de bon, mais ont introduit une multitude de vices abominables et de désordres scandaleux. Même un Pape, Pie II, a souvent déclaré, oralement et par écrit, - ainsi qu'en fait foi sa biographie, - qu'il y avait bien certaines raisons pour que l'on ait interdit le mariage aux prêtres, mais qu'il y en avait d'autres bien plus graves et plus importantes pour leur rendre la liberté de se marier. Sans doute le Pape Pie II, homme sage et pondéré, n'a pas dit cette parole à la légère.
Nous espérons donc, comme sujets soumis à Votre Majesté Impériale, que Votre Majesté, en Empereur chrétien et très louable, daignera considérer sérieusement que nous vivons dans les derniers temps ou, selon l'Ecriture, le monde se corrompt de plus en plus, et où les hommes deviennent de plus en plus faibles et fragiles. C'est pourquoi il est urgent, utile et digne d'un chrétien, d'examiner diligemment cet état de choses, de peur que, le mariage étant interdit, une impudicité plus honteuse et des vices plus abjects n'envahissent le pays allemand. Car lorsqu'il s'agit de créer ou de changer ces institutions, personne ne pourra le faire de meilleure manière et avec plus de sagesse que Dieu lui-même, qui a établi l'état du mariage pour venir en aide à l'infirmité humaine et pour mettre obstacle à l'immoralité.
Les Canons anciens disent aussi qu'il faut parfois adoucir et modérer la rigueur des lois, par égard à la faiblesse humaine, et afin d'éviter de plus grands maux. Dans le cas qui nous occupe, cette indulgence serait certainement exigée par la charité chrétienne, et absolument nécessaire. En quoi, d'ailleurs, le mariage des prêtres et des clercs peut-il être désavantageux à l'Eglise chrétienne universelle, et en particulier le mariage des pasteurs de paroisse et des autres ministres de l'Eglise ? "Mais si cette prohibition rigide devait durer, on viendrait certainement dans l'avenir à manquer de prêtres et de pasteurs. II est donc établi que le droit au mariage pour les prêtres et les ecclésiastiques en général est fondé sur la Parole et sur le commandement de Dieu. De plus, l'histoire prouve qu'autrefois les prêtres étaient mariés. Et enfin, le vœu du célibat a causé tant de scandales impies et odieux, tant d'adultères, tant d'impudicités inouïes et de vices abominables, que même plusieurs chanoines et des officiers de la cour de Rome l'ont souvent avoué et ont exprimé la crainte que, le clergé étant plongé dans tant de vices épouvantables, la colère de Dieu ne fût suscitée. Dans ces conditions il est bien lamentable de voir que l'on ne s'est pas contenté d'interdire le mariage chrétien, mais que dans certains endroits on a eu le front de le poursuivre avec empressement comme un crime. Et pourtant Dieu a ordonné dans les Saintes Ecritures qu'on tienne le mariage en honneur. De même, dans les lois impériales, et dans tous les Etats où la loi et le droit n’ont jamais été en vigueur, l'état du mariage est hautement honoré. Ce n'est que maintenant que l'on se met à livrer au bourreau des innocents, uniquement parce qu'ils se sont mariés ; et c'est ainsi qu'on agit à l'égard de prêtres, que l'on devrait pourtant ménager avant tout ! Voilà des choses contraires non seulement aux lois divines, mais aussi aux Canons de l'Eglise. L'apôtre Paul (1 Tim. 4) traite de « doctrine des démons » celle qui défend de se marier. Jésus-Christ lui-même déclare, Jean 8, 44 : « Le diable est meurtrier dès le commencement ». Cela se vérifie dans le cas présent ; en effet, la doctrine qui interdit le mariage et qui, pour se maintenir, ne recule pas devant l'effusion du sang, doit être une doctrine du diable. Mais comme il n'y a aucune loi humaine qui puisse annuler ou modifier la loi de Dieu, il n'y a point non plus de vœu qui puisse modifier la loi divine. C'est pourquoi saint Cyprien conseille aux femmes qui ne tiennent pas leur vœu de chasteté, de se marier, disant : « Si elles ne veulent pas, ou ne peuvent pas vivre dans le célibat, il vaut mieux qu'elles se marient, plutôt que de tomber dans le feu par leur concupiscence, et qu'elles se gardent bien de ne pas scandaliser leurs frères et leurs sœurs » (Livre I, Epître 11).
Par surcroît, tous les Canons se montrent indulgents et équitables surtout pour ceux qui ont fait des vœux étant jeunes. D'ailleurs, la plupart des prêtres et des moines ont embrassé leur état dans l'ignorance de la jeunesse.
C'est à tort qu'on nous reproche d'avoir aboli la Messe, alors qu'il est avéré que chez nous, sans nous vanter, la Messe est célébrée d'une manière plus sérieuse et avec plus de vénération que chez nos adversaires. Nous avons aussi grand soin d'instruire souvent nos fidèles sur le saint Sacrement, afin qu'ils sachent dans quel but il a été institué, et comment on doit s'en servir : à savoir, pour réconforter les consciences troublées. C'est ainsi qu'on attire le peuple à la Messe et à la Communion. En même temps nous l'avertissons contre d'autres fausses doctrines concernant le Sacrement. D'ailleurs, nous n'avons guère apporté de modifications aux cérémonies publiques de la Messe, sauf qu'en quelques endroits on chante des cantiques allemands à côté des chants latins, pour instruire et exercer le peuple, puisque toutes les cérémonies doivent servir principalement à l'instruction du peuple dans ce qu'il lui est nécessaire de connaître concernant le Christ.
Personne n'ignore que la Messe, déjà avant ces temps, a été l'objet de nombreux abus de toutes sortes. On a fait de la Messe une véritable kermesse ; on l'a achetée et vendue ; partout dans les églises, la plupart des messes ont été célébrées pour de l'argent. Aussi cet abus a été maintes fois, déjà avant nous, condamné par des hommes réputés pour leur science et pour leur piété. Depuis que les prédicateurs chez nous ont prêché à ce sujet et qu'on a attiré l'attention des prêtres sur la terrible menace, i Cor. n, 29 : que quiconque se sert du Sacrement indignement, sera « coupable du corps et du sang de Christ », - menace qui devrait émouvoir tout chrétien, - ces messes vénales et privées, qu'on était obligé jusque-là de célébrer pour jouir de certaines prébendes ou pour s'assurer un revenu, ont cessé dans nos églises.
Nous avons aussi dénoncé l'erreur abominable selon laquelle notre Seigneur Jésus-Christ, par sa mort, n'aurait expié que le péché originel, et qu'il aurait, institué la Messe pour qu'elle soit un sacrifice pour les autres péchés. C'est ainsi qu'il aurait fait de la Messe un sacrifice pour les vivants et pour les morts, destiné à ôter leurs péchés et à réconcilier Dieu. Il, s'en est suivi qu'on a discuté la question si une messe célébrée pour beaucoup à la fois avait autant de « valeur » qu'une messe particulière célébrée pour chacun individuellement. De là vint l'immense multiplication des messes, par lesquelles on prétendait obtenir de Dieu tout ce dont on avait besoin. Il va sans dire qu'ainsi la foi en Christ et le véritable service divin sont tombés dans l'oubli.
Tout cela nous a mis dans la nécessité de donner instruction à ce sujet, pour que l'on sache comment on doit se servir correctement du saint Sacrement. Voici ce que nous enseignons :
Premièrement, les Saintes Ecritures déclarent en de nombreux endroits qu'il n'y a aucun sacrifice ni pour le péché originel, ni pour les autres péchés, sinon uniquement la mort de Christ. Car il est écrit dans l'Epître aux Hébreux, que Christ s'est offert une seule fois et qu'ainsi il a aboli le péché, et nous a sanctifiés une fois pour toutes (Hébr. 9, 26-28 ; 10, 10). C'est une innovation inouïe d'enseigner dans l'Eglise que la mort de Christ a satisfait seulement pour le péché originel et non pas aussi pour les autres péchés. Il est à espérer que tout le monde comprendra que nous avons raison de condamner cette erreur. En deuxième lieu, saint Paul enseigne que nous obtenons grâce devant Dieu par la foi, et non par les œuvres. Rien n'est plus manifestement contraire à cette doctrine que l'abus que l'on fait de la Messe en s'imaginant que par cette opération rituelle on acquiert la grâce. Or on sait qu'on s'est servi de la messe comme d'un moyen pour se débarrasser de péchés, et pour obtenir la grâce et toutes sortes de biens auprès de Dieu ; et cela non seulement en faveur du prêtre officiant, mais encore en faveur de tout le monde, des morts comme des vivants.
En troisième lieu, le saint Sacrement n'a pas été institué pour que l'on en fasse un sacrifice expiatoire - car ce sacrifice a déjà été consommé sur la croix - mais pour qu'il serve à réveiller en nous la foi, et à réconforter les consciences ; en effet, le Sacrement nous rappelle que la grâce et la rémission des péchés nous sont assurées par Jésus-Christ. Par conséquent, ce Sacrement exige la foi, et sans la foi, on s'en sert en vain.
Puisque donc la Messe n'est pas un sacrifice offert pour d'autres, qu'ils soient vivants ou morts, afin d'effacer leurs péchés, mais qu'elle est destinée à être une Communion dans laquelle prêtre et fidèles reçoivent le Sacrement, chacun pour soi-même : nous observons chez nous l'usage suivant : On célèbre la Messe aux jours fériés, et s'il y a lieu en d'autres jours, lorsque des communiants se présentent, et on donne le Sacrement à ceux qui le désirent. Nous avons donc conservé l'usage correct de la Messe, telle qu'elle fut célébrée autrefois dans l'Eglise, comme on peut le prouver par saint Paul, 1 Cor. 11, 33, et par les écrits de bon nombre de Pères. Chrysostome, par exemple, dit que chaque jour le prêtre se tenait à l'autel pour inviter les uns à communier, tandis qu'il défendait à d'autres de s'approcher. De même, les anciens Canons nous apprennent que, tandis que l'un des prêtres célébrait la messe, les autres prêtres et les diacres recevaient de ses mains la Communion. Car voici les termes du Canon de Nicée : « Les diacres devront recevoir le Sacrement, selon leur rang, après les presbytres, soit de la main de l'évêque, soit de celle d'un presbytre ».
Nous n'avons donc introduit aucun usage nouveau, qui n'existait déjà dans l'ancienne Eglise ; de même, nous n'avons apporté aucune modification considérable aux cérémonies publiques, sauf que nous avons supprimé les messes parasites et abusives qu'on célébrait en marge de la Messe paroissiale. Il n'y a donc pas lieu de condamner notre manière de célébrer la Messe, comme hérétique et antichrétienne. Car jadis on ne célébrait pas la Messe tous les jours, même pas dans les grandes églises très populeuses, ni même aux jours où tout le peuple avait coutume de s'assembler. L'Histoire Tripartiie (Livre 9) raconte qu'à Alexandrie on s'assemblait le mercredi et le vendredi, pour lire et expliquer l'Ecriture, et on célébrait un service divin complet, mais sans la Messe.
Pour ce qui est de la Confession, elle n'a pas été abolie par nos prédicateurs. Nous observons chez nous la coutume de ne donner le Sacrement qu'à ceux qui ont été préalablement examinés et absous. On a soin de faire observer au peuple combien les paroles de l'Absolution sont consolantes, et combien l'Absolution est une grâce inestimable et précieuse : qu'elle n'est pas la voix ou la parole du ministre officiant, mais la Parole de Dieu qui pardonne les péchés. Car l'Absolution est prononcée au nom de "Dieu et par son commandement. C'est avec beaucoup de zèle que nous donnons instruction concernant ce commandement et ce Pouvoir des Clefs, et nous montrons combien ce pouvoir est réconfortant et nécessaire aux consciences angoissées. Nous leur disons que Dieu nous ordonne de croire à cette Absolution, tout comme si c'était la voix de Dieu lui-même, venue du ciel ; et que nous devons nous en réjouir et consoler, en sachant que par cette foi nous obtenons la rémission des péchés. Autrefois, les prédicateurs parlaient beaucoup de la Confession, mais ils ne disaient pas un traître mot de ces choses si nécessaires. Au contraire, ils ne faisaient que tourmenter les consciences en exigeant une interminable énumération des péchés et en les accablant de satisfactions, d'indulgences, de pèlerinages et d'autres exercices de ce genre. Beaucoup de nos adversaires avouent eux-mêmes que chez nous on a parlé et écrit avec plus de compétence au sujet de la vraie repentance chrétienne que cela n'a été fait depuis fort longtemps.
Voici notre enseignement sur la Confession : On ne doit contraindre personne à énumérer ses péchés en détail vu que cela est impossible, comme le dit le Psaume 19, 13 : « Qui est-ce qui connaît son iniquité ? ». Et Jérémie 17, 9 : « le cœur de l'homme est tortueux par-dessus tout et méchant ; qui peut le connaître ? ». La malheureuse nature humaine est plongée si profondément dans les péchés, qu'elle ne saurait les voir ou les connaître tous. Si nous ne devions être absous que de ceux que nous pouvons énumérer, le gain serait infime. Il n'est donc pas nécessaire de presser les pénitents pour qu'ils nomment chaque péché par son nom. Les Pères n'ont pas pensé autrement : Chrysostome s'exprime ainsi (Distinct. 1 De Poenitentia) : « Je ne dis pas que tu doives révéler tes secrets publiquement, ou t'accuser et plaider coupable devant telle personne ; mais suis l'exhortation du prophète qui dit : Révèle à l'Eternel ton chemin, Psaume 37, 5. C'est pourquoi porte ta confession, jointe à ta prière, devant Dieu le Seigneur, qui est le vrai juge ; ce n'est pas par Ïa bouche, mais dans ta conscience, que tu dois déclarer tes péchés ». On voit clairement que Chrysostome ne contraint personne à déclarer ses péchés nommément. La Glose des Décrets concernant la Repentance, Distinct. V, chap. Considèret, confirme cet enseignement : que la Confession n'a pas été commandée par l'Ecriture, mais instituée par l'Eglise. Néanmoins nos prédicateurs ne manquent pas d'enseigner avec soin que la Confession doit être maintenue, pour la consolation des consciences affligées, à cause de l'Absolution qui en constitue l'élément essentiel et principal, et pour d'autres raisons encore.
Autrefois on enseignait, aussi bien en chaire que dans les livres, que la distinction des aliments et les autres traditions de ce genre, d'origine humaine, sont utiles pour mériter la grâce et pour offrir des satisfactions pour le péché. Pour cette raison on inventait chaque jour de nouveaux jeûnes, de nouveaux exercices de piété, de nouveaux ordres monastiques, etc, ; on insistait sur ces choses avec beaucoup de véhémence, comme si ces pratiques étaient des cultes obligés, par l'observance desquels on pouvait mériter la grâce, et comme si on commettait un gros péché en les négligeant. De là sont nées beaucoup d'erreurs pernicieuses dans l'Eglise.
Premièrement, par ces pratiques on a obscurci la grâce du Christ et la doctrine de la foi. Or c'est sur ces vérités que l'Evangile insiste avec le plus de force ; il nous engage sérieusement à reconnaître la haute valeur du mérite de Jésus-Christ, et à mettre la foi en Christ bien au-dessus de toutes les œuvres. Voilà pourquoi l'apôtre saint Paul s'est élevé avec véhémence contre la loi mosaïque et contre les traditions humaines, afin que nous apprenions bien que nous ne sommes pas justifiés devant Dieu par le moyen de nos œuvres, mais uniquement par la foi en Christ : lorsque nous croyons que nous obtenons la grâce à cause de Lui seul. Cette doctrine a été presque totalement étouffée par suite de cet enseignement qui voulait qu'on mérite la grâce au moyen d'ordonnances, de jeûnes, de distinctions des aliments, de vêtements, etc.
En deuxième lieu, ces traditions ont aussi obscurci les commandements de Dieu, puisqu'on les élevait bien au-dessus des commandements de Dieu. On croyait que la vie chrétienne consiste entièrement à observer certaines fêtes, à réciter certaines prières, à pratiquer certains jeûnes, à endosser un vêtement particulier. On appelait cela une vie chrétienne, spirituelle. En échange, on considérait d'autres œuvres, tout à fait nécessaires et bonnes, comme une activité mondaine, dépourvue de spiritualité : à savoir, les devoirs que chacun est redevable d'accomplir, selon sa vocation, tels que ceux du père de famille qui travaille pour nourrir sa femme et ses enfants, et qui les élève dans la crainte de Dieu ; ou les œuvres de la mère de famille qui met au monde ses enfants et qui les entoure de ses soins : ou celles d'un prince ou de magistrats qui gouvernent le pays et les sujets, etc. Il a fallu que toutes ces œuvres pourtant commandées par Dieu passent pour être des choses mondaines et imparfaites, mais que par contre les traditions aient le renom superbe d'être seules des œuvres saintes et parfaites. D'où il vient qu'on inventait sans fin ni mesure des traditions nouvelles.
En troisième lieu, ces traditions ont fini par peser lourdement sur les consciences. Car il n'était pas possible de les observer toutes ; et pourtant les gens étaient dans l'opinion que ces observances étaient nécessaires pour servir Dieu. Gerson écrit, qu'à cause de cela beaucoup sont tombés dans le désespoir. Plusieurs même se sont suicidés pour n'avoir pas été consolés par la prédication de la grâce de Jésus-Christ. On voit chez les « Sommistes » (auteurs de recueils sommaires des traditions) et autres théologiens, dans quel embarras se trouvaient les consciences. Ces théologiens ont entrepris de codifier les traditions et ont cherché des adoucissements pour soulager les consciences. Avec cela ils ont eu tant à faire, qu'entretemps toute la doctrine chrétienne vraiment salutaire au sujet de choses bien plus nécessaires telles que la foi, la consolation dans les tentations sévères, etc., était tombée dans l'oubli. Déjà avant nous, bon nombre de gens pieux se sont plaints de ce que ces traditions engendrent force querelles dans l'Eglise, et que des âmes pieuses sont empêchées par-là de parvenir à la vraie connaissance de Christ. Gerson et d'autres ont élevé de vives plaintes à ce sujet ; il déplut déjà à saint Augustin qu'on chargeât les consciences du joug de tant de traditions. Aussi ne manque-t-il pas d'avertir qu'on ne doit pas les tenir pour obligatoires.
Ce n'est donc nullement par arrogance ou par mépris du pouvoir spirituel que nous avons traité ces matières ; mais une nécessité impérieuse nous a contraints de dénoncer les erreurs mentionnées ci-dessus, qui sont nées d'une fausse conception des traditions. Car l'Evangile nous presse de prêcher avec insistance dans les églises la doctrine de la foi. Or on ne saurait avoir l'intelligence de cette doctrine tant qu'on s'imagine qu'on peut mériter la grâce par des œuvres de son propre choix.
Ainsi donc nous avons enseigné que l'observation des traditions humaines ne peut ni mériter la grâce, ni réconcilier Dieu avec nous, ni expier nos péchés ; et que par conséquent on ne doit pas en faire un culte obligé. Nous justifions cette attitude par l'Ecriture Sainte. Jésus-Christ, Matth. 15, 3. 9, excuse les apôtres qui n'ont pas observé les traditions usuelles ; puis il ajoute : « C'est en vain qu'ils m'honorent par des commandements d'hommes ». S'il dit que ce genre de culte est vain, il en résulte qu'il n'est pas obligatoire. Puis il ajoute encore : « Ce qui entre dans la bouche ne souille pas l'homme ». De même, l'apôtre saint Paul s'exprime ainsi, Rom. 14, 17 : « Le Royaume des cieux ne consiste pas dans le manger et le boire ». Col. 2, 16 : « Personne ne doit vous juger à propos du manger et du boire, ou à l'égard d'une fête, ou d'une nouvelle lune ou d'un sabbat ». Saint Pierre dit, Actes 15, 10 : « Pourquoi tentez-vous Dieu. En imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu supporter ? Mais nous croyons que par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ nous serons sauvés ». Voilà donc Pierre qui défend qu'on impose aux consciences l'obligation d'observer de nombreuses cérémonies extérieures, qu'elles soient prescrites par Moïse ou par d'autres. Dans la première Epître à Timothée 4, 1-3, ces sortes d'ordonnances, comme d'interdire certains aliments ou de prohiber le mariage, etc., sont nommées « doctrines des démons ». Car en effet, c'est s'opposer directement à l'Evangile que de prescrire ou de faire ces sortes d'œuvres dans le but de mériter la rémission des péchés, ou comme si l'on ne pouvait pas être un chrétien sans pratiquer de pareils cultes.
Quant aux reproches que l'on fait aux nôtres en prétendant qu'ils interdisent - à l'instar de Jovinien - la mortification de la chair et la discipline du corps : on trouvera, en examinant leurs écrits, qu'il en est tout autrement. Car ils ont toujours enseigné la doctrine de la croix chrétienne, à savoir que les chrétiens sont obligés de souffrir. Voilà une mortification véritable et sérieuse et non simulée. En outre, nous enseignons que chacun doit discipliner son corps, par le jeûne ou par d'autres exercices, pour ne pas donner lieu au péché, mais non pas pour mériter la grâce par ces œuvres. Cette discipline corporelle doit s'exercer constamment, et non pas seulement en certains Jours déterminés. C'est là ce que dit Jésus, Luc 21, 34 « Prenez garde que vos cœurs ne soient appesantis par les excès ». Et, Matth. 17, 21 : « Ces démons ne peuvent être chassés que par le jeûne et la prière ». Saint Paul dit, 1 Cor. 9, 27, qu'il traite durement son corps et le tient assujetti. Il indique ainsi que la mortification du corps doit servir, non pas à mériter la grâce, mais à maintenir le corps dans une disposition qui ne fasse point obstacle à ce qui est exigé de chacun par le devoir de sa vocation. Donc nous ne rejetons nullement le jeûne ; ce que nous condamnons, c'est que, au plus grand embarras des consciences, on en a fait un culte obligatoire en prescrivant certains jours et en proscrivant certains aliments.
Au reste, on observe chez nous beaucoup de rites et de traditions qui servent au maintien de l'ordre dans l'Eglise, par exemple l'ordre de la Messe, les chants, les fêtes, etc. Mais nous avertissons le peuple que ce culte extérieur ne confère pas la justice devant Dieu, et qu'on doit le pratiquer sans en faire une charge pour la conscience ; cela veut dire que si on omet ces pratiques sans causer du scandale, on ne commet pas de péché. Les Pères anciens, eux aussi, ont observé cette liberté dans les cérémonies extérieures. En Orient, on ne célébrait pas la fête de Pâques en même temps qu'à Rome ; et comme quelques-uns prétendaient que cette divergence constituait un schisme dans l'Eglise, les autres leur ont fait comprendre qu'il n'est nullement nécessaire qu'il y ait conformité dans ces sortes de coutumes. Irénée s'exprime ainsi : « La diversité des jeûnes ne rompt pas l'unité de la foi ». De même le Pape Grégoire déclare, Distinct. XII, qu'une telle divergence dans les observances humaines n'est pas incompatible avec l'unité de l'Egalise chrétienne. L'histoire Tripartite, Livre 9, rassemble un grand nombre de coutumes divergentes de l'Eglise, et elle fait cette remarque opportune et conforme à l'esprit chrétien : " L'intention des apôtres n'a pas été d'instituer des jours de fête, mais d'enseigner la foi et la charité